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L’hégémonie du camp du bien

Le numéro de février 2016 de La Revue des deux Mondes en 2016, portait le titre bien amusant de « L'hégémonie du camp du Bien battue en brèche ». Malgré le titre, l’ensemble des textes proposant l’analyse du camp du Bien (le terme sera à retenir) semble sans intérêt par-delà la déclinaison des stéréotypes habituels d’une droite assoupie dans son conservatisme.

Le numéro de février 2016 de La Revue des deux Mondes en 2016, portait le titre bien amusant de « L’hégémonie du camp du Bien battue en brèche ». Malgré le titre, l’ensemble des textes proposant l’analyse du camp du Bien (le terme sera à retenir) semble sans intérêt par-delà la déclinaison des stéréotypes habituels d’une droite assoupie dans son conservatisme. Quoi qu’il en soit, certains aspects de l’analyse de Jean-Pierre Le Goff, s’inscrivant dans la lignée d’un Finkielkraut (cité dans le texte) et d’un Gauchet, me paraissent intéressants et justes. Même si l’on ne doit absolument pas partager la perspective depuis laquelle Le Goff critique une certaine gauche, il me semble possible de retenir certains points de son analyse.

Le « camp du Bien » relève de ce que Le Goff nomme « gauchisme culturel ». Ce nouveau gauchisme se distingue de la gauche traditionnelle (et de l’extrême gauche, de manière significative, ce sera la seule gauche que Le Goff aura bien voulu opposer à la gauche culturelle, si bien que l’extension de cette dernière ne semble plus si claire sous la plume du conservateur) en ce qu’il « il considère que les ouvriers et les couches populaires sont globalement des « beaufs » et des « ringards » ». (Le Goff, J.-P., & Kopp, R. (2016). « L’hégémonie du camp du bien battue en brèche ». Revue des Deux Mondes, 39‑47.) L’observation est bien vue, et l’on se souviendra de celles et ceux de nos journalistes de la gauche culturelle, écrivant dans le Land, le WOXX ou même Reporter, qui voyaient les manifestations de la « marche blanche » comme autant de symptômes pathologiques d’une « petite-bourgeoisie » en perte de solidarité et de foi en l’État.

Pour cette nouvelle gauche, les questions de l’économie, celles du pouvoir politique et de la lutte des classes disparaît derrière les questions plus importantes, en apparence, que celles des mentalités, de l’égalité symbolique, des identités du genre, de l’écriture inclusive et de la dénonciation sans retenue de l’immoralisme de toute pensée ou position qui s’opposerait à leur bien-pensance.

« Le gauchisme culturel, écrit Le Goff, ne s’en prend pas directement aux structures sociales, il vise le changement des mentalités, des façons de penser, de ressentir, d’agir. Aujourd’hui, le registre du ressenti, de l’émotion et des bons sentiments domine. »

Le bon sentiment de prédilection, comme on l’aura vu ces deux dernières années, est celui de la solidarité entre les différences admises et le rejet pur et simple de ce qui précède : « appel incessant au « changement » individuel et collectif; réitération des valeurs générales et généreuses amenant à terme la réconciliation et la fraternité universelles. »

On l’aura compris, la révolution du gauchisme culturel se joue à l’intérieur : on change la pensée, on change l’expression, on change le langage pour changer le monde : « Pour le gauchisme culturel, il ne s’agit pas de rupture au sens politique ou économique du terme, de rupture avec le capitalisme. Il s’agit de rompre culturellement avec le « vieux monde » qui n’en finit pas de mourir et continue pourtant d’exister, en extirpant les idées et les comportements jugés rétrogrades, tout particulièrement dans le domaine des mœurs et de la culture. »

Cette rupture radicale, ou qui se veut radicale tout en reconduisant les gestes de l’autoritarisme de droit sans autre réflexion – après tout, il n’y a rien de plus important que le bon sentiment derrière le geste – ne relève donc pas d’une nouvelle idéologie, à proprement parler. Le discours, à défaut de pensée, relève du bricolage : « Nous sommes dans ce que l’on pourrait appeler un bricolage, qui consiste à récupérer des débris des anciennes idéologies. On trouve ainsi des restes des vieux schémas de la lutte contre la réaction, de l’antifascisme, de l’intellectuel « objectivement complice » de l’extrême droite et du fascisme montant … , mais recomposés à l’aune de l’individualisme autocentré, du look et des médias, aboutissant à des postures de redresseur de torts et de justicier valorisées socialement. » Clairement, nous sommes dans le registre « de la dénonciation et du règlement de comptes. »

Ce gauchisme est, selon Le Geoff, celui « d’universitaires gauchistes qui vivent dans leur monde, mais surtout de journalistes militants et d’associations qui s’affichent volontiers comme les défenseurs des victimes du monde entier et pratiquent la délation. » La description est claire : on pensera aisément à tout un éventail d’exemples concrets qui ont parsemé les médias ces dernières deux années. (Évidemment, tout en prônant la réflexion, Le Goff ne tient pas compte du fait de son inscription dans exactement le même milieu, si bien que ce critique est bien moins ‘extérieure’ qu’il n’y paraisse.)

Toujours dans le bon sentiment et surtout la morale du Bien simpliste, mais incontesté, ces universitaires, journalistes et intellectuels des médias sociaux aiment à « apparaître comme les défenseurs du progrès contre la réaction et s’ériger en nouveaux gardiens du temple d’une démocratie hygiéniste et vertueuse. »

Si ce gauchisme se situe d’abord aux antipodes du totalitarisme – et nous avons vu depuis qu’il peut très bien le revendiquer à son tour – il n’« en exerce pas moins une police de la pensée et de la langue d’un nouveau genre. Il procède par reductio ad Hitlerum, pour disqualifier ses adversaires, les dénonce et les lynche médiatiquement avec plainte en justice et tribunal à la clé. Il ne coupe pas les têtes, il diabolise, fait pression et ostracise. »

Si Le Goff semble complètement manquer le noyau autoritaire pourtant évident du gauchisme culturel qu’il décrit, si bien par ailleurs, il en relève aussi l’une des conséquences le plus flagrantes : la remise « en question la liberté de penser » par voie de démoralisation, de mise au ban, d’humiliation, de diffamation et d’injure « démoralise ses adversaires, [et] les livre à la vindicte en les traitant allègrement de racistes, d’islamophobes, d’homophobes, de suppôts ou de complices de l’extrême droite… »

(* Je ne m’arrêterai pas sur la reprise non-critique par Le Goff, d’une notion chère à Alain Finkielkraut ; celle du « parti de l’Autre », ou du « camp du déni », inventée suite à l’attentat de Charlie Hebdo. Je passerai aussi sur la fonction affaiblissante que Le Goff attribue la « gauche culturelle » face au terrorisme islamiste. Le gauchisme culturel, écrit Le Goff dans ce contexte, « nous désarme face à des ennemis qui veulent nous détruire ». L’intention moralisatrice porte la trace évidente d’une certaine droite académique, conservatrice et autoritaire, dont les représentants les plus illustres sont Finkielkraut et Marcel Gauchet.)



[Caricature : Charlie Hebdo du 4 décembre 2020 https://charliehebdo.fr/…/politiquement-correct-quand…/]

Thierry Simonelli
Thierry Simonelli
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