Une nouvelle histoire de l’humanité

Dans les années 60, Pierre Clastres a interrogé le lien de nécessité entre pouvoir et coercition, montrant que de nombreuses sociétés qu’il appelle primitives étaient pourvues d’une organisation sociale sans avoir développé de structures étatiques.

Dans les années 60, Pierre Clastres a interrogé le lien de nécessité entre pouvoir et coercition, montrant que de nombreuses sociétés qu’il appelle primitives étaient pourvues d’une organisation sociale sans avoir développé de structures étatiques. Tout en s’intéressant de près à son objet, il s’était livré à un important travail de déconstruction, montrant que les Espagnols arrivés en Amérique avaient largement forgé et diffusé l’idée de tribus indiennes vivant en bandes nomades de petite taille alors que les populations indigènes étaient majoritairement sédentaires vers 1500 afin de dépasser ce qui était un paradoxe pour eux. Non, contrairement à l’idée reçue et encore bien enracinée, le progrès (idéalisé) et la civilisation ne signifiaient pas nécessairement le renoncement à la liberté face à la violence étatique.

C’est à cette idée reçue que s’en prennent à leur tour Graeber et Wengrow avec leur dernier livre, paru juste après la mort du premier en 2020.

The dawn of everything. A new history of humanity révèle combien le mythe des origines, et l’opposition systématique entre nature et culture (que la culture soit positive comme chez Hobbes ou négative comme chez Rousseau) polluent les réflexions dans des domaines aussi variés que l’économie, les sciences politiques, la sociologie ou l’histoire. L’opposition sert généralement à imposer la caractère inéluctable où nous sommes, à bloquer l’imagination d’autres systèmes : nous avons des Etats coercitifs parce que nous sommes le produits du progrès, et si le sort des sociétés primitives peut nous sembler enviable, n’oublions pas que ces peuples étaient égaux parce qu’ils étaient pauvres et étaient privés de tout ce qui est l’objet d’inégalité.

Sensible à l’intérêt qui sous-tend toute production scientifique, visant généralement à reproduire et conserver des dominations, ils s’en prennent à l’idée d’égalité, au centre des débats politiques et de nombreux travaux scientifiques présentés comme progressistes. Selon eux, la question de l’inégalité n’est pas centrale, et si elle est devenue si importante depuis le crash financier de 2008, ce n’est pas par bienveillance envers autrui, mais toujours et encore par souci de conservation : « The term ‘inequality’ is a way of framing social problems appropriate to an age of technocratic reformers, who assume from the outset that no real vision of social transformation is even on the table. »

Eloise Adde
Eloise Adde
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